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Critique de La Dague Enfouie par Maestitia

Publié le Dimanche 8 octobre 2023 | 6 révisions avant publication | 4 corrections après publication

— J’ai fait défaut à mes fils.

Il donna voix à cette pensée sans vraiment le réaliser, et cette déclaration revint en écho au Faucheur entre les murs de plastacier écaillé de la baie d’atterrissage.

Guidé seulement par son instinct, Mortarion était revenu là où Greenheart s’était amarré. Sa navette, maintenue en état de partir à la guerre, ne ressemblait plus qu’à une épave exhumée de quelque marais bourbeux. Comme tout le reste dans l’étreinte de cette portion septique de l’Immaterium, la décomposition l’avait prise d’assaut.

Par-delà la nacelle d’ancrage rouillée dans laquelle demeurait suspendue la structure spatiale de Greenheart, se trouvaient les portes principales isolant la baie de l’espace. Les lourds volets s’étaient affaissés et entrouverts sous leur propre poids, en laissant une fraction de l’aurore boréale qu’il y avait derrière projeter sa lumière fiévreuse à vous tordre l’esprit. Dans toute autre circonstance, Mortarion se serait attendu à une décompression violente, mais il s’agissait du Warp. Et il était en train d’apprendre que rien, décidément, dans cet endroit, n’imitait les lois de l’univers où il était né.

L’éclat sauvage de l’Empyrée l’appelait à lui. Dehors se trouvait la source de son tourment, raisonna-t-il. C’était là dehors que les forces qui corrompaient sa légion s’étaient regroupées. Dehors que se trouvait la fin.

Mortarion souleva le capuchon de devant son visage livide et le rejeta en arrière, afin de fixer cette folie droit dans les yeux, en rassemblant sa force pour marcher jusque là-bas et se confronter à la vérité.

Ses pas résonnaient d’échos étranges tandis qu’il avançait. La coque du Terminus Est s’écartait de lui de tous côtés, le métal bougeant et s’altérant, en se couvrant d’excroissances qui y poussaient comme des herbes. Les autres vaisseaux de la flotte étaient suspendus autour de lui comme des ornements ternes, accrochés à un ciel hurlant d’énergie brute et informe. Des entortillements de couleurs faits d’hallucinations et d’horizons impossibles se dépliaient jusqu’à l’infini, mais une constante inchangée flottait sur ce tableau.

Mortarion voyait s’esquisser ce qui pouvait être le visage d’un dieu, et sur lui, la forme de trois yeux grand ouverts, disposés en un triangle intimidant. Il fut saisi de l’impression que cet être avait attendu une éternité que cet instant se produise.

Spontanément, le désespoir noir et total du Faucheur d’Hommes se matérialisa physiquement autour de lui, en une cape aussi sombre et creuse que le vide entre les étoiles. Le combat livré dans son sang bouillait et le faisait brûler de l’intérieur.

Et ce fut là que la haine et la détresse de Mortarion, le moindre iota de sa rage et de sa mélancolie, prirent forme dans l’unique question qu’il hurla dans le Warp. Un cri de pure frustration, un javelot tiré vers le destin, et vers chacun de ceux qui avaient eu un jour la condescendance de se présenter à lui comme son père.

— Qu’est-ce que vous attendez de moi ?

Quand la réponse vint, le timbre bourdonnant et la qualité lointaine, fragile comme du papier, de cette voix contre sa peau lui furent familiers.

Il ne suffit pas de vouloir défier.

Les cœurs de Mortarion se figèrent dans sa poitrine. Il se rappela la première fois où il avait cru la mort venue, là-haut, sur les sommets ignobles de Barbarus, et l’instant où son désespoir le plus profond s’était manifesté. Il avait échoué ce jour-là, trahissant sa promesse faite à ses semblables et à son monde. Il avait échoué tandis qu’un autre s’avançait pour arracher la gloire qui aurait dû lui revenir, et la honte ne s’était jamais entièrement apaisée.

Ces paroles demeurées en suspens à l’époque achevèrent d’être prononcées. Et la vérité à laquelle le Faucheur d’hommes ne voulait pas se confronter fut rendue indéniable.

Pour défier la mort, il faut devenir la mort. Pour endurer par-delà tout, il faut t’y soumettre. Si tu souhaites qu’il te soit accordé d’être délivré de tes souffrances, tu dois renoncer à ton âme.

— Je me souviens…

Se souvenait-il vraiment ? Y avait-il quoi que ce soit de réel dans cet endroit ?

Les deux parties de l’esprit divisé de Mortarion se le disputaient, la décomposition contre la suspicion, la soumission contre la rébellion, le futur affrontant le passé.

L’entité vaste et terrible vint flotter plus près, et se dessina mieux. Son apparence était protéiforme, une gigantesque créature-colonie, composée de spécimens viraux qui s’étaient vu offrir une dimension et une singularité. Elle tendit vers lui une main colossale et lépreuse, dont les trois doigts griffus s’écartèrent, jusqu’à envelopper toute la vue de Mortarion. Sur sa peau dégénérescente, se retrouvait cette même triade qui s’y répétait encore et encore, en une profusion fractale ; cette même forme que les lésions groupées qui s’étaient manifestées sur le primarque après son exposition au virus.

Mon champion. Je te donnerai tout ce que tu souhaites, résonna la voix. Ton propre domaine que tu pourras modeler à ta volonté. Tu seras ce que tu as toujours voulu être. Il suffit pour ça que tu acceptes la Marque. Prends-la et jure-moi allégeance.

J’attendais ardemment ce roman depuis la conclusion de ma lecture de La Fuite de l’Eisenstein en 2008. Vous pourriez vous demander pourquoi une telle impatience. Il est vrai qu’il y avait encore tant à explorer avant d’arriver à La Dague Enfouie. Mais à l’époque, ma fascination pour le Primarque Mortarion était insatiable, et étant donné que la saga de l’Hérésie s’était montrée avare en détails sur la Deathguard, l’intensité de mon attente avait fini par s’estomper.

Maintenant, je tiens enfin entre mes mains l’unique ouvrage qui explique en profondeur comment la Deathguard et Mortarion ont succombé aux puissances du Chaos. Ce roman se révèle être une conclusion époustouflante pour la série The Horus Heresy. Son intrigue est à la fois captivante et détaillée, nous plongeant dans les derniers jours de la Grande Hérésie. James Swallow tisse habilement les fils narratifs, offrant enfin des réponses attendues depuis longtemps à de nombreuses questions tout en réservant des moments de surprise. L’histoire est à la fois sombre, complexe et mémorable.

Le récit s’articule autour de trois lieux distincts : d’une part, nous suivons Mortarion et sa légion à la fois dans le présent et à l’époque de Barbarus (avant l’arrivée de l’Empereur), puis sur Terra, où nous suivons Malcador et ses Chevaliers Errants, notamment Garro et Loken que l’on ne présente plus.

La Dague Enfouie offre une exploration en profondeur des personnages, en mettant particulièrement en avant le Primarque de la XIVe Légion ainsi que le Sigillite. Les flashbacks révélant le passé de Mortarion sur Barbarus mettent en lumière les tourments et les motivations du Primarque, renforçant ainsi notre attachement à ce personnage d’une tristesse acablante. La relation complexe entre Mortarion et Typhon, son premier capitaine, est également mise en évidence, créant des tensions palpables au sein de la Deathguard.

Le constant état dépressif dans lequel est plongé Mortarion est à la fois fascinant et désolant. Il s’érige facilement parmi les Primarques les plus marqués par la souffrance et les traumatismes, aux côtés de Lorgar, Angron, Kurze et Perturabo, et ce, avant même l’arrivée de l’Empereur.

Le style d’écriture de James Swallow est un élément essentiel de cette œuvre. Son ton gothique et sombre imprègne le roman de puissance, au point de créer une atmosphère étouffante, reflétant parfaitement le désespoir et la tristesse qui habitent les personnages. Ses descriptions évocatrices de Barbarus, ce monde toxique et désespéré, sont d’une grande force. Les scènes d’action sont décrites de manière particulièrement immersive, offrant des moments aussi palpitants que visuels. Les monstres de Barbarus sont des amas de chair cousus pêle-mêle à la manière des créatures du docteur Frankenstein. Les lieux sont des marécages toxiques ou des montagnes pourries où rien ne pousse, où la vie est un calvaire ininterrompu.

En ce qui concerne les dialogues entre les personnages, ils sont le plus souvent succincts, mettant en avant les motivations plutôt que les émotions profondes des protagonistes. Tout se dévoile davantage à travers leurs actions et leurs silences que par de longs discours. De même, en ce qui concerne Malcador et les Chevaliers Errants, leur univers est empreint de mensonges et de secrets, créant une atmosphère sombre sur Terra, bien que l’action y soit plus présente que dans le récit centré sur la Deathguard.

Cependant, un aspect laisse à désirer, à savoir la fausse intrigue concernant les Sœurs du Silence portées disparues, qui brisent leurs vœux de silence en prononçant des fragments de phrases inintelligibles. Cette intrigue se révèle peu convainquante et ne contribue pas de manière significative à l’histoire, ce qui est regrettable. De plus, la référence grossière à «Dune» concernant un personnage semble davantage être un plagiat sans saveur plutôt qu’un véritable hommage.

Pour le reste, le roman est essentiel. Certes, il nous relate l’abandon de Mortarion et de la XIVe Légion, mais au-delà de cela, il nous offre une véritable préquelle sur le Primarque. À travers Barbarus, la planète toxique, et Necare, le tyran qui règne sur tous les seigneurs de guerre, le lecteur découvrira l’origine de la colère et de la mélancolie qui sont inhérentes à la Deathguard. Necare est un personnage crucial, étant le père adoptif de Mortarion. Cependant, Necare fait partie d’une caste de privilégiés qui sont en réalité des psykers, ce que l’on découvre par la suite. Sur ce monde malade, seuls ceux ayant des affinités avec le warp peuvent espérer survivre aux nuages mortels et à l’atmosphère délétère de la planète. On comprend donc mieux pourquoi le Primarque éprouve une telle hostilité envers les psykers et les sorciers. De plus, cela explique pourquoi il a été un fervent accusateur lors du Procès de Nikaea : sa méfiance envers l’Immaterium ne date donc pas d’hier.

Enfin, les chapitres relatant la corruption de la Deathguard sont particulièrement bien écrits. Plus Mortarion résiste à l’attrait du Grand-Père Nurgle, plus la maladie et la déchéance dévorent ses fils, les faisant paraître faibles et vulnérables, ce qui est ironique pour des Astartes. La relation entre Mortarion et Nurgle remonte à leurs origines, tout comme celle de Fulgrim avec Slaanesh et de Magnus avec Tzeentch. Ce roman explique pourquoi et montre comment le désespoir et la peur peuvent conduire à une aliénation éternelle.

Les plus

  • Mortarion, Primarque à la psyché torturée et attachante.
  • Les origines détaillées de la Deathguard sur Barbarus.
  • Le voyage dans le warp et la maladie qui éprouve les Astartes.
  • Le style gothique du récit mélangé au romantisme.
  • Malcador et ses Chevaliers qui deviennent bien plus que cela...
  • Le serment de l'instant badass entre Garro et Loken.

Les moins

  • Typhon qui tappe sur les nerfs à tout savoir sur tout.
  • Wyntor ou l'ersatz.
  • Les Soeurs du Silence et l'intrigue à deux sous.
4.5/5

La Dague Enfouie est le dernier roman essentiel à la compréhension de l'Hérésie d'Horus. Mortarion et sa Deathguard sont au cœur de ce livre intime qui prend le temps de nous narrer les origines du Primarque et de la XIVème. Loin d'être un récit d'action, son contenu est terrible comme fascinant. Comprendre et assister à la corruption d'un Primarque en commençant du début jusqu'à la fin permet une réelle compréhension du personnage. Un incontournable.