Avis sur L’Ascension d’Horus par Maestitia
Publié le Lundi 8 septembre 2014 | 2 révisions avant publication | 4 corrections après publicationRelire ce roman aujourd’hui, avec une connaissance complète de l’Hérésie d’Horus, change tout. Ce qui était à l’époque une mise en bouche spectaculaire devient une fondation mythologique d’une précision redoutable. À posteriori, chaque scène, chaque dialogue, chaque silence prend une densité nouvelle. Rien n’est innocent. Rien n’est gratuit. Et c’est précisément là que le talent d’Abnett s’impose : il écrit un commencement qui sait déjà comment tout va finir, sans jamais le trahir frontalement.
Dès les premiers chapitres, le roman pose un socle idéologique clair. L’Adeptus Astartes n’est pas seulement présenté comme une force militaire invincible, mais comme un projet civilisationnel. Abnett insiste sur leurs valeurs, leur fraternité, leur discipline, tout en laissant filtrer, très tôt, une forme de rigidité inquiétante. Le contexte post-Ullanor donne l’illusion d’une victoire totale, d’une Croisade achevée, alors que le texte n’est déjà qu’un long glissement vers la rupture. Cette tension sourde irrigue tout le livre. On sait que quelque chose cloche, mais on comprend aussi pourquoi personne ne veut encore le voir.
Horus est au centre de cette ambiguïté. Le Maître de Guerre est construit avec une humanité troublante. Compatissant, proche de ses fils, attentif aux mortels, il tranche avec l’image distante et presque abstraite de l’Empereur. Abnett ne le présente jamais comme un tyran en devenir, mais comme un dirigeant écrasé par un héritage impossible à porter. La charge politique qu’il assume : conquérir, administrer, pacifier, taxer. Tout cela dépasse largement le cadre militaire. C’est là que le roman devient passionnant : l’Hérésie n’est pas qu’une corruption démoniaque, elle est aussi la conséquence directe d’un projet impérial mal pensé, trop vaste, trop rapide, trop sûr de lui-même.
Face à Horus, le Mournival fonctionne comme un miroir déformant. Abaddon, Aximand, Torgaddon et Loken incarnent chacun une facette de la Légion. Loken, en particulier, reste une anomalie fascinante. Son empathie, sa curiosité intellectuelle, son rapport presque maladroit aux idéaux de la Vérité Impériale en font un personnage profondément dissonant. Il ne rentre jamais totalement dans le moule, et c’est précisément pour cela qu’il devient notre point d’ancrage. À travers lui, Abnett interroge la cohérence du discours impérial : comment prêcher la rationalité absolue dans un univers saturé de symboles, de rites et de croyances ?
Les commémorateurs jouent ici un rôle clé. Souvent sous-estimés, ils sont pourtant essentiels à la mécanique du roman. Sindermann, Keeler, Oliton incarnent le regard civil sur la Croisade. Leur présence introduit le doute, la mémoire, la narration, et surtout la possibilité d’une autre lecture des événements. Le Lectitio Divinitatus apparaît d’abord comme une hérésie marginale, presque anecdotique, avant de révéler son potentiel explosif. Là encore, Abnett ne force rien : il laisse les idées circuler, contaminer lentement les esprits, sans grands discours tonitruants.
L’irruption de Samus marque un basculement. Ce qui était encore explicable, rationnalisable, bascule dans l’indicible. Le choix d’introduire le démon par des voix, des chuchotements, des fragments de phrases est brillant. La possession de Jubal n’est pas un simple affrontement physique, c’est une fracture, un changement de paradigme. Loken lutte autant contre un ennemi que contre l’effondrement de ses certitudes. Et lorsque Horus lui explique qu’il ne s’agissait “que” du Warp, le malaise est total. Le déni devient une arme politique. Nommer autrement, c’est déjà contrôler le réel.
La campagne de Meurtre, souvent citée comme un simple intermède guerrier, est en réalité un laboratoire narratif. Abnett y déploie une action lisible, rythmée, spectaculaire, tout en développant les relations inter-légions. Tarvitz et Lucius brillent, non seulement par leurs exploits martiaux, mais par la dynamique humaine qu’ils instaurent. Leur amitié, encore intacte à ce stade, résonne douloureusement pour le lecteur averti. Chaque échange léger est déjà une promesse de tragédie.
L’Interex constitue sans doute l’un des sommets du roman. Cette civilisation, miroir possible de ce que l’Imperium aurait pu devenir, cristallise toutes les tensions idéologiques du récit. Horus y est confronté à une autre manière de penser la coexistence, la mémoire du Chaos, la responsabilité historique. Le musée de l’armement, loin d’être un simple décor, est un symbole : connaître le mal pour mieux le contenir, plutôt que le nier. La présence d’Erebus, discrète mais corrosive, suffit à faire basculer l’équilibre. Le drame n’est pas une fatalité cosmique : il est provoqué, manipulé, orchestré.
La fin du roman agit comme une série de coups de scalpel. Le vol de l’anathame, le changement de nom de la Légion, la destination Davin. Rien n’explose encore, et pourtant tout est déjà perdu. Abnett termine son récit là où d’autres auraient cherché un climax spectaculaire. Il préfère l’irréversible. Et c’est ce choix qui donne à ce premier tome une puissance durable.
Relu aujourd’hui, ce texte impressionne par sa maîtrise. Il dialogue intelligemment avec le reste de la saga, tout en tenant parfaitement seul. À la manière d’Eisenhorn, Abnett construit une tragédie lente, humaine, politique, où le surnaturel n’est jamais une excuse, mais un révélateur. Ce roman n’est pas seulement le début de l’Hérésie : il en est la clé de voûte morale.
Les plus
- Construction magistrale d’Horus, complexe, humaine et tragique.
- Personnages secondaires mémorables (Loken, Sindermann, Tarvitz).
- Introduction progressive et intelligente du Chaos.
- Équilibre remarquable entre action, politique et idéologie.
- Relecture extrêmement enrichissante avec connaissance complète de la saga.
Les moins
- Densité idéologique pouvant dérouter un lecteur non averti.
- Certaines explications volontairement elliptiques.
- Peu de spectaculaire pur comparé aux tomes ultérieurs.
En conclusion, ce roman est une fondation solide, honorable et profondément intelligente. Il ne cherche jamais l’esbroufe, mais construit patiemment une tragédie annoncée. Tout y est déjà contenu, en germe, prêt à éclore. Relu aujourd’hui, il confirme une chose : l’Hérésie n’a jamais été une chute brutale, mais une longue et terrible dérive.
Critique de L’Ascension d’Horus par Priad
5/5Dan Abnett est à la hauteur des espérances avec ce premier tome, il n’aurait pas pu faire mieux. Ce n’est pas de si tôt que l’on retrouvera un livre aussi prenant et équilibré dans la saga.