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Critique de Les Cendres de L'Imperium par Maestitia

Publié le Dimanche 21 décembre 2025

— Je souhaiterais également pouvoir vous en dire davantage sur Son état. Mais la vérité, c’est qu’il reste encore beaucoup de choses que nous ignorons. Il vit. Il contrôle les mécanismes du Trône, ce qui permet à Terra de prospérer. Mais Il ne parle pas, ni ne bouge. Pas encore. Nous pensons qu’Il reprendra bientôt Sa place légitime à la tête de ce Conseil, et nous accueillerons ce jour avec ferveur, car en Son absence, nous ne sommes que l’ombre de nous-mêmes.

Il hésita. Prayto n’avait que rarement vu son maître exprimer la moindre émotion – parfois la colère, mais même cela restait rare. Soudain, il parut gagné par l’incertitude ambiante, comme si, pour la première fois, il prenait pleinement conscience de ce que signifiait assumer non seulement la charge de sa légion, mais celle de tout le reste. Le Créateur avait disparu ; ne subsistaient plus que Ses sujets, pareils à des enfants perdus et déconcertés.

Guilliman se ressaisit aussitôt – cela n’avait duré qu’une fraction de seconde.

— Mais nous ne pouvons nous complaire dans le chagrin, reprit-il. Des décisions doivent être prises. Les méthodes du passé étaient imparfaites : trop souvent, les intentions n’étaient pas clairement énoncées. L’incertitude était tolérée. C’est pourquoi ce Conseil a été convoqué, en présence de tous, afin de tracer la voie à suivre. Jamais plus nous ne pouvons nous permettre d’être divisés. À partir d’aujourd’hui, nous devons agir d’une seule voix.

Ces paroles étaient éloquentes, mais Prayto se rendit compte qu’il n’y croyait pas encore. Il ne voyait toujours pas comment ce Conseil pourrait s’achever autrement que par l’adoption des vues de Dorn. Il avait depuis longtemps appris à avoir foi en son Primarque – et l’histoire n’avait cessé de lui donner raison – et pourtant, avec Vulkan présent, et le Roi-Loup de retour, il ne semblait plus y avoir la moindre place pour la mesure.

— Je vous annonce aujourd’hui que Terra est sécurisée, poursuivit Guilliman. Si des opérations se poursuivent encore à travers le globe, nous avons désormais la certitude que le Palais et le plateau himalasien sont entièrement débarrassés de l’ennemi. La guerre spatiale autour de Terra a été brève et décisive – la majeure partie de leur flotte a été détruite en orbite. Les forces sous mon commandement ont repoussé les derniers éléments hors du système Sol, et ont lancé des frappes ciblées contre les unités résiduelles qui tentaient de fuir. Nous estimons que tous les effectifs ennemis encore en vie sont en déroute, et que leur seul objectif est d’échapper à la destruction. Afin d’assurer la sécurité du Monde-Trône, j’ai ordonné à des éléments de notre flotte de guerre de se replier vers le noyau. Aucun vaisseau de la Treizième Légion n’a franchi le délimiteur de Mandeville. Mon objectif, et le cœur du travail confié à nos strategos, est désormais de ramener Luna dans le giron impérial. Des forces ennemies considérables y restent bloquées, et bien que leur capacité de nuisance soit pour l’instant limitée, cette menace ne saurait être tolérée. Nos renseignements indiquent que l’ennemi a établi sur place des installations capables de produire rapidement des combattants Astartes, en utilisant des génétisseurs créés par les cultes selenars. Il s’agit d’une menace de niveau alpha pour l’intégrité de l’ensemble du système et elle doit donc être éliminée. Mon intention est de lancer une offensive de grande ampleur, mobilisant l’ensemble des ressources des légions actuellement déployées dans le système.

Il acheva ici son discours, laissant ses paroles faire leur effet. Inévitablement, après une brève pause, ce fut Dorn qui répondit.

— Je reprendrai à mon compte les paroles de mon frère au sujet de notre père, dit-il. Pour le reste, je serai direct : la voie qu’il préconise est, comme il le sait, de la folie. C’est de la prudence, là où il nous faut écarter toute prudence. Cela offre à l’ennemi – que nous avons vaincu ici, sur Terra, en allant jusqu’au bout de nos forces – exactement ce dont il a besoin : du temps. En cet instant, il est désorganisé. Sa confiance et sa puissance, que nous avons affrontées durant des mois, se sont dissipées. C’est maintenant qu’il faut frapper. Qu’il faut l’extirper de la galaxie, une bonne fois pour toutes. Luna sera reconquise en temps voulu. Mars sera reconquise, en temps voulu, et ses forges rendues au digne Fabricator Locum. Mais aujourd’hui, il nous faut de l’audace. Il nous faut rejeter toute retenue. Il nous faut faire volte-face, relancer nos vaisseaux dans l’espace à pleine vitesse, et rattraper ceux qui ont causé tout ce mal. Ils sont toujours vivants. Ils sont toujours vivants. C’est là notre plus grande honte. Nous devons les traquer, chacun d’entre eux, jusqu’au dernier.

Les Cendres de l’Imperium est un roman qui m’a surpris par sa retenue et, paradoxalement, par sa puissance. Chris Wraight ne cherche pas à capitaliser sur l’ampleur mythologique du Siège de Terra, il en accepte l’héritage et se concentre sur ce qui vient immédiatement après : le moment où l’Histoire cesse d’être épique pour devenir politique. Ce n’est pas un récit de victoire, mais un récit de transition, de fracture, presque de gueule de bois impériale. Et c’est précisément pour cela qu’il fonctionne aussi bien.

Dès les premières pages, le ton est clair : l’Imperium a survécu, mais il est exsangue. Les institutions tiennent encore debout, mais par habitude plus que par conviction. L’Empereur est là sans être là, et ce vide symbolique irrigue tout le roman. Ce qui se joue ici, ce n’est pas une nouvelle guerre, mais la lutte pour définir ce que signifie gouverner après l’impensable. Qui parle avec autorité ? Qui interprète la volonté impériale ? Qui décide de ce qui doit être préservé, détruit, ou réécrit ?

La grande force du livre, à mes yeux, réside dans sa portée politique. Wraight montre que la fin de l’Hérésie n’est pas une résolution, mais un déplacement du conflit. La violence change de forme : elle devient administrative, idéologique, institutionnelle. On sent déjà poindre l’Imperium dogmatique à venir, non pas comme une trahison soudaine des idéaux, mais comme une conséquence logique de la peur, de l’urgence et du besoin de contrôle. Ce roman raconte comment on commence à verrouiller l’avenir au nom de la survie.

Les personnages incarnent admirablement ces tensions. Archamus, en particulier, m’a marqué. Il est l’un de ces survivants lucides, porteur d’un héritage lourd, conscient que la fidélité aveugle n’est plus suffisante. Son regard sur les événements est empreint de gravité, mais aussi d’un certain pragmatisme douloureux. Il n’est pas là pour sauver l’Imperium, mais pour l’empêcher de resombrer trop vite.

Mais ceux qui m’ont le plus profondément touché sont sans doute Theokon, l’Iron Warrioir et Kraiya, l’apothicaire Son of Horus. Tous deux apportent une densité morale rare dans l’univers de la Black Library. Theokon, par ses réflexions, pose des questions essentielles sur la responsabilité, la mémoire et le prix de l’obéissance. Il n’est jamais dans la posture, toujours dans l’interrogation. Quant à Kraiya, son regard de gardien sur Luna est glaçant et fascinant à la fois : il sait que les loyalistes viendront se venger bientôt. Ses réflexions sur la nature de l’honneur, sur ce que l’on sacrifie au nom d’une cause, sont parmi les passages les plus intelligents du roman, bien que tardifs.

Sur le plan de l’écriture, Chris Wraight est d’une maîtrise impressionnante. Son style est posé, précis, presque clinique par moments, ce qui renforce l’impression de lecture d’un texte historique plus que d’un simple roman de guerre. Les dialogues sont tendus, chargés de non-dits, et souvent plus dangereux qu’un échange de tirs. Wraight excelle dans ces scènes où une décision prise autour d’une table aura plus de conséquences qu’une bataille rangée. De plus, quelques retournements de situations m’ont fait trembler plus d’une fois.

Et pourtant, quand l’action arrive, tardivement, volontairement, elle est parfaitement maîtrisée. Les scènes de bataille surgissent comme des rappels brutaux de ce que l’Imperium sait encore faire : détruire. Leur rareté les rend d’autant plus percutantes. Elles ne sont jamais gratuites. Elles arrivent lorsque la parole ne suffit plus. La mise en scène est claire, lisible, violente sans complaisance. On sent l’attrition, la fatigue, l’absence totale de romantisme dans ces affrontements. Ce sont des batailles de transition, pas de conquête, et cela change tout dans le ressenti.

Des scènes renforcent aussi mes hypothèses concernant la Cage de Fer et la prochaine reconquête de Mars. Wraight sème consciemment des indices fascinants. La manière dont sont décrits les rapports de force, la méfiance envers certaines structures, le poids accordé au contrôle technologique et doctrinal… tout cela confirme que Les Cendres de l’Imperium prépare idéologiquement le terrain. La reconquête ne sera pas seulement militaire, elle sera symbolique, doctrinale et théologique. Et ce roman en pose les bases intellectuelles, voir spirituelles.

Le ressenti de lecture est particulier, presque excitant. Il n’y a pas de soulagement après l’Hérésie. Pas de catharsis. Juste une sensation persistante que quelque chose de fondamental s’est brisé, et que l’Imperium choisit sciemment de ne pas regarder cette fracture en face. Là où le Siège de Terra écrasait par sa grandeur tragique, Les Cendres de l’Imperium oppresse par sa lucidité froide.

Ce que j’ai profondément apprécié, c’est la capacité du roman à raconter du nouveau avec du connu. Les références au Siège sont présentes, mais jamais appuyées. Elles servent de fondation, pas de béquille. Wraight part du principe que je sais ce qui s’est passé, et m’invite à réfléchir à ce que cela implique. En cela, le roman respecte son lecteur et enrichit réellement le canon. Par ailleurs, l’auteur prononce à haute voix les questions que tous les lecteurs se posent : la situation de l’Empereur, la disparition des énergies éthéreés, le nouveau rôle des Primarques et bien qu’ils n’y réponde pas à toutes, cela permet d’allèger quelque peu notre sentiment d’interrogation maladive.

En refermant le livre, j’ai eu le sentiment d’assister aux balbutiements d’un nouvel Imperium que nous connaissons pas encore : pas celui des statues et des litanies exacerbées, mais celui des compromis, des silences, et des décisions irréversibles prises dans l’urgence. C’est un roman exigeant, profondément politique, et étonnamment humain dans un univers qui l’est rarement.

Les plus

  • Portée politique exceptionnelle, mature et nuancée.
  • Capacité du roman à raconter du nouveau avec du connu.
  • Écriture précise, intelligente.
  • Scènes de bataille rares mais d’une efficacité redoutable.
  • Capacité à rendre passionnantes des discussions idéologiques et institutionnelles.

Les moins

  • Rythme parfois exigeant pour un lecteur cherchant de l’action.
  • Certains arcs secondaires peuvent sembler abstraits.
  • Demande une bonne connaissance préalable du contexte pour être pleinement apprécié.
5/5

Les Cendres de l’Imperium est un roman essentiel, non pas parce qu’il est spectaculaire, mais parce qu’il est honnête. Chris Wraight y dissèque avec finesse la naissance d’un Imperium déjà malade de ses propres contradictions. C’est une lecture exigeante, parfois inconfortable, mais profondément enrichissante. Pour moi, c’est l’un des textes qui donne le plus de sens à ce qui vient après la fin de l’Hérésie.