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Le Dernier Acte

De la cacophonie assourdissante du champ de bataille autour de lui, du goût de sang dans sa bouche, des transmissions radio incessantes dans son casque ou encore des nombreuses douleurs dont son corps était perclus, Atanax n’aurait su dire lequel de ces facteurs l’avait ramené à lui. Il gisait sur le dos et eut besoin de plusieurs secondes pour se remémorer les évènements et le lieu où il se trouvait. Ses indicateurs rétiniens lui indiquaient de nombreuses blessures et failles dans son armure. Il nota de plus qu’une majorité des voyants correspondants à ses frères de bataille étaient passés du vert au rouge. Ah, oui, il se souvenait maintenant. Son Primarque était mort. Ils étaient en déroute.

À peine commença-t-il à se relever qu’un Space Marine portant le blanc et bleu de la légion renégate des World Eaters le chargea. Le sergent Iron Hands porta immédiatement la main à son pistolet bolter attaché magnétiquement à sa jambe et n’entendit que le clic métallique d’un chargeur vide. Il roula pour éviter un coup de hache tronçonneuse qui faillit lui trancher le bras gauche. Dans sa roulade, il repéra sa propre lame tronçonneuse qui gisait dans la poussière et s’en saisit pour directement se relever sur ses deux jambes. Il était temps de se réveiller.

Les quelques secondes précédant sa charge du guerrier de la XIIème Légion furent suffisantes à Atanax pour faire le point sur la situation. Le champ de bataille d’Istvaan V s’étirait autour de lui et la guerre la plus folle qu’il ait vue de sa longue vie de Space Marine faisait rage. Le frère combattait le frère et des milliers de surhommes de l’Adeptus Astartes se battaient entre eux contre toute raison. Tout n’était que folie. Les tirs d’artillerie étaient incessants, des blindés explosaient, la fumée et les flammes ponctuaient ce champ de mort et les couleurs des armures se mélangeaient dans un corps à corps sanglant.

Les Sons of Horus, les Emperor’s Children, les World Eaters et la Death Guard avaient sérieusement mis à mal la Raven Guard, les Salamanders et son propre chapitre, les Iron Hands. Non, pire. Fulgrim, le maudit, avait décapité son Primarque bien aimé, Ferrus Manus, sous les yeux même d’Atanax, impuissant. De nombreux rapports radio indiquaient que les renforts Word Bearers, Iron Warriors, Night Lords et Alpha Legion n’en étaient pas et qu’eux aussi avaient tourné le dos à l’Empereur et réalisaient actuellement un massacre parmi les forces loyalistes. Les trop nombreux sentiments mêlés dans le cerveau d’Atanax devraient attendre, car le guerrier World Eaters chargea en hurlant.

Les deux armes se rencontrèrent dans un panache d’étincelles et aucun des deux guerriers ne céda un centimètre sur l’autre. Poussé par la rage des récents évènements et son propre reflet dans les lentilles rouges du renégat, Atanax força sur son bras et les servomoteurs de son armure pour faire céder son adversaire. À peine une légère brèche ouverte dans sa défense que le sergent Iron Hands percuta son ennemi de l’épaule. La céramite craqua des deux côtés et les deux guerriers tombèrent au sol. Le sergent se retrouva par-dessus son ennemi et plongea instantanément son épée tronçonneuse dans la gorge du renégat qui mourut dans un concert de borborygmes sanglants.

Il se releva rapidement et utilisa sans retenue toutes ses ressources physiques et mentales pour simplement survivre, entouré de ses quelques frères Iron Hands encore en vie. Sur fond d’ordres radio de retraite générale, Atanax se souvint soudain d’une chose dans la confusion qui régnait en maître. Il avait un allié supplémentaire ici. Non, pas un allié. Un ami. Malgré son appartenance au chapitre des Emperor’s Children, le sergent Tal Agatos ne pouvait cautionner la trahison d’Horus et de toutes ces légions. Ils avaient servi ensemble durant d’innombrables batailles sur d’innombrables mondes et leurs liens étaient aussi forts que ceux de Space Marines d’une seule et même escouade après des décennies de combat. Il fallait qu’il le retrouve. Il ne pouvait pas quitter Istvaan V sans avoir essayé. Après tout, l’une des missions de l’Adeptus Astartes était aussi de sauver ce qui pouvait l’être. Tal Agatos pouvait l’être.

Il repéra rapidement le gros des troupes de la IIIème Légion. Leurs armures violettes étaient visibles de loin malgré le grand nombre de guerriers à porter d’écœurantes peaux tendues par-dessus leur équipement.

« Escouade d’assaut Cnidaria, avec moi ! Nous avons une âme à sauver ! »

Atanax et les restes de son escouade activèrent comme un seul homme leurs réacteurs dorsaux et bondirent en l’air pour atterrir de nombreux mètres plus loin au cœur même des troupes Emperor’s Children. Aucun n’avait émis d’objection, tous respectaient trop leur sergent pour cela. Suivant leur chef qui donnait la direction, les sept survivants Iron Hands se frayèrent un chemin sanglant à coups d’épées tronçonneuses parmi la masse ennemie prise au dépourvu face à une telle manœuvre désespérée ; jusqu’à un soldat en particulier. Tout en violet et or, ce dernier ne portait rien de déviant ou corrompu comme la majorité des traîtres autour de lui. Il ne semblait pas à sa place et mal à l’aise malgré son expression masquée par son casque. Atanax l’avait repéré grâce à la cape noire et argent qu’il avait offerte à son ami bien des années auparavant. Le sergent Emperor’s Children vit son homologue Iron Hands et fit signe à ses guerriers de les laisser régler ça entre eux.

Pendant une poignée de secondes qui semblèrent une éternité, les deux frères se regardèrent en silence au travers de leurs optiques. Atanax finit par appuyer sur les mécanismes de son gorgerin pour retirer son casque, avant que Tal Agatos n’en fasse de même. Ils portaient les marques de la guerre et du combat sur leur visage, mais le tatouage identique qu’ils portaient tous deux au-dessus de leur arcade gauche était toujours visible malgré le sang qui maculait le visage de l’Iron Hands. Atanax jeta un œil vers l’aigle saisissant une méduse, symbole de leur amitié et de la première fois où Tal Agatos avait sauvé sa vie contre un chef de guerre Ork. Il surprit son frère en faire de même et ils finirent par se regarder dans les yeux. Ils ne s’étaient pas vus depuis 13 ans.

« Quelle est cette folie, mon ami ? demanda Atanax tandis que la guerre continuait autour d’eux comme si de rien n’était. Les Iron Hands avaient formé un cercle défensif autour de leur sergent et tenaient comme ils le pouvaient face à un ennemi bien plus nombreux. Tal Agatos prit quelques secondes pour répondre. 

 — Je ne sais pas trop mon frère, mais tu me connais, j’obéis aux ordres de mon Primarque et du Maître de Guerre. Vous feriez bien de fuir avant que nous terminions de vous écraser… vous n’avez aucune chance.
 — Tu sais très bien, Tal, que je ne fuirai pas sans avoir essayé de sauver le maximum possible.
 — Tu as toujours été trop soucieux des autres Atanax, lui sourit sincèrement l’Emperor’s Children. Tu ferais mieux de penser à ta propre survie cette fois-ci.
 — Et toi tu as toujours été trop à cheval sur les ordres, quitte à participer à cette folie tout autour de nous ! Viens avec nous, il n’est pas encore trop tard.
 — Tu sais très bien que c’est impossible, répliqua Tal Agatos.        

Atanax laissa en suspens quelques secondes la réponse de son ami, pour finalement formuler sa prochaine phrase. 

 — Dans ce cas, en l’honneur de notre vieille amitié, accepteras-tu un ultime défi de ma part ?
 — Je t’écoute, répondit le sergent Emperor’s Children intrigué.
 — Battons-nous, et comme nous l’avons souvent fait, mettons un enjeu. Si je l’emporte, tu viens avec nous et sauves ton honneur tant qu’il en est encore temps. L’Empereur est miséricordieux et verra dans ton cœur que tu n’es pas un traître.
 — Et si je gagne ?
 — Eh bien … ce sera sur cette planète que mon existence, et notre amitié, se termineront, acheva gravement Atanax.
 — Qu’il en soit ainsi, mon frère. »

Sur ces mots, les deux Astartes activèrent leur épée tronçonneuse respective et chargèrent sans retenue. Les dents des deux armes s’entrechoquèrent violemment et, comme dans presque tous leurs affrontements, l’Emperor’s Children prit rapidement le dessus sur l’Iron Hands. Atanax devait se contenter de défendre contre les assauts furieux du sergent adverse et le combat mettait rapidement à l’épreuve son organisme surhumain déjà éprouvé par le début de la bataille. Tal Agatos était une fine lame et malgré son amitié profonde envers son homologue, il ne retenait pas ses coups, entièrement dédié à son propre chapitre et aux ordres du Maître de Guerre. Profitant d’un moment de faiblesse de son adversaire, le sergent renégat  abattit son épée sur la seule défense restante que put lui présenter l’Iron Hands : son bras gauche. L’épée tronçonneuse mordit dans la céramite au niveau du coude et finit par la traverser sous les étincelles. S’attendant à voir gicler le sang, Tal Agatos fut pris au dépourvu lorsque l’avant-bras d’Atanax tomba dans la poussière en déversant de l’huile et des câbles plutôt que du sang.

Ce bref moment de surprise face à la chute de son bras bionique suffit au sergent Iron Hands pour prendre le dessus et décocher un coup du pommeau de son épée dans le visage de son adversaire. Sonné, l’Emperor’s Children ne put rien faire quand Atanax le désarma d’un coup de botte et lui assena un puissant coup de genou en plein ventre. À genoux le souffle coupé, à la merci de l’Iron Hands qui tenait son épée sous sa gorge de sa main valide, Tal Agatos releva la tête vers le gagnant et lui dit en esquissant un sourire :

«  La chair est faible, hein ?
 — Exactement. Et si nous y allions maintenant ? Le sergent lut dans les yeux de son ami le doute et le conflit intérieur qui le rongeait, mais l’Emperor’s Children finit par acquiescer.
 — Oui, allons-y. »

Leur fuite du champ de bataille fut éprouvante. Il ne restait que trois Iron Hands vivants de son escouade et les rares survivants des autres chapitres loyalistes ne purent pas grand-chose face aux trop nombreux traîtres qui poussaient leur avantage. Dans leur course effrénée vers le dernier site d’atterrissage aux mains des loyalistes, Atanax crut apercevoir un géant doré aux prises avec un autre géant noir porté par des ailes de feu. « Puisse ce dernier avoir plus de chance que Ferrus Manus… » se dit-il amèrement. Ils finirent par atteindre le site où se regroupaient les derniers survivants, assailli de tous les côtés et d’où des navettes partaient déjà. Il fit signe aux défenseurs de ne pas tirer sur l’Emperor’s Children avec eux, dont l’armure était quasiment impossible à reconnaitre sous le sang qui la maculait. Ils profitèrent d’un ultime barrage de tirs de bolters pour se mettre à couvert.

Après quelques minutes d’ultime résistance, l’ordre général d’évacuation fut donné. Atanax et Tal Agatos slalomèrent sous les tirs parmi les centaines de cadavres qui jonchaient le site et montèrent à bord d’un Thunderhawk qui décolla immédiatement sans même attendre la fermeture des portes. Vu du dessus, le champ de mort qui s’étendait sur des kilomètres était irréel de chaos. Des milliers d’ennemis étaient encore là, tentant d’abattre les fuyards parmi les décombres des véhicules en flammes et les mares de sang. Atanax regarda son frère dont les yeux semblaient hantés par le remords et le spectacle qui s’offrait à lui. C’est au moment où ce dernier finit par le regarder en souriant et en lui tendant son bras que la roquette percuta le Thunderhawk et que tout ne fut plus que ténèbres.