Vivre ou Laisser Mourir
« Le Bien ou le Mal. L’ordre ou le Chaos. Tout n’est que question de point de vue. Peu importe de quel côté on se place, nous faisons partie d’un tout. Ce qui nous différencie vraiment, ce sont les choix que l’on fait, et la vigueur que l’on déploie pour les mettre en œuvre. » — Maréchal Marmont, commandant des hussards de la mort.
L’Empereur se tient en haut de la colline, entouré de son état-major. Derrière, en retrait, patiente sa garde personnelle. Silencieuse. Impassible. Le visage sévère, il porte son regard sur le champ de bataille qui s’étend à ses pieds. Ses généraux l’observent, guettant la moindre de ses réactions. Brusquement, ses traits sont altérés par un léger rictus, puis celui-ci disparaît comme soufflé par le vent.
Boum ! Des détonations retentissent ! Cris… odeur de poudre… froid vif… La bataille fait rage. Plus tôt dans la journée, les deux armées se sont rencontrées sur le plateau de Pratzen. L’Empereur a alors simulé la retraite, abandonnant cet axe stratégique à l’ennemi. Mordant à l’hameçon, ce dernier s’est engouffré à la suite des troupes impériales. La contre-attaque les a laissés figés dans leur stupéfaction. A présent, les hommes à pied reprennent petit à petit le plateau, expulsant l’adversaire qui au mieux, prend la fuite, au pire d’écrase sur les soldats du Maréchal Soult qui enfonce l’aile droite. Sur la gauche, la cavalerie du Maréchal Lannes a déjà perforé l’ennemi et achève les survivants. Un chien qui ronge un os déjà blanchit. La victoire est à portée de main. Comme d’habitude. A chaque essai, à chaque bataille d’Austerlitz, l’Empereur Napoléon arrache la victoire sans appel. Le décor éclate tout à coup en pixels et se mêle en une bouillie de couleur. Puis l’obscurité…
La vue lui revint peu à peu. Le champ de bataille avait disparu pour laisser place à la salle du Mechanicum. Sombre, elle était envahie de machines, d’écrans et de câbles en tous sens. Le serviteur s’approcha et aida l’Astartes allongé.
— Comment vous sentez vous, capitaine Cambronne ?
— Diable, j’ai encore la gueule de bois !
— Je ne comprends pas capitaine.
— Bah laisse filer.
L’imposant Ultramarine descendit du sarcophage qui l’avait « emprisonné ». Il détacha soigneusement les câbles amarrés à ses connections neurales, aidé par le serviteur dont les bras s’agitaient frénétiquement. Les Thermopyles, Azincourt, Sekigahara, Austerlitz, Calth. Nombreuses avaient été les batailles qu’il avait vécues à travers les yeux de ses protagonistes. Ce simulateur virtuel était une foutue invention du Mechanicum. Il enfila un épais manteau gris bleuté qui était fixé à une patère et se dirigea vers la sortie. C’est là qu’il remarqua la présence d’un autre Astartes qui patientait dans l’ombre.
— Toujours en quête du passé… La vie n’est qu’affaire de présent, voire de futur. Tu vas te perdre Capitaine.
— Maréchal Marmont ! Je ne vous avais pas vu. Depuis diable combien de temps êtes-vous dans le coin ?
— Ton amour du passé te rend aveugle au présent. Ta vigilance faiblit.
— Ces simulations de batailles me permettent au contraire d’affiner mes sens tactiques et stratégiques. Les hommes de l’ancienne Terra avaient déjà acquis un savoir incroyable et ce, malgré leurs armes primitives. Que l’Empereur me les morde si tout cela n’est pas une mine d’or !
— Ce sont tout au plus des mythes, des légendes que l’on se raconte pour garder nos racines. Notre force n’est pas dans le passé, mais bel et bien dans les taches qui nous attendent dans le futur.
— Nous ne serons jamais d’accord mon Maréchal… Mais vous restez malgré tout un type agréable.
— Ha ! Ha ! Ha ! Suis-moi Capitaine ! Le présent t’appelle… et plus particulièrement ton commandant. Nous sommes attendus à l’hémicycle.
Les deux compagnons se dirigèrent vers la porte de la salle d’entraînement et s’engouffrèrent dans le labyrinthe de corridors. Un serviteur les rejoint, tenant dans ses servo-bras le long sabre de Marmont, signe distinctif des maréchaux du chapitre. Ce dernier était à la tête d’une compagnie d’assaut redoutée, les hussards de la mort. Ils arboraient des armures d’un noir d’ébène dont les épaulettes étaient surmontées d’un crâne et de tibias entrecroisés. Ceux qui s’étaient amusés à les comparer à des paléo-pirates de l’ancienne Terra n’avaient pas eu l’occasion de le faire une seconde fois.
Finalement ils arrivèrent devant une immense porte à double battant sur laquelle était gravé le symbole d’Ultramar, entouré de lauriers. La porte en elle-même était gardée par de hauts piliers pourpres, eux-mêmes surmontés de chapiteaux corinthiens dorés à l’or fin. Des drapés cousus dans un riche tissu écarlate partaient de ces colonnes et rebondissaient sur tous les murs du corridor.
A leur approche, la porte s’ouvrit et les laissa pénétrer dans une vaste salle. C’était un grand amphithéâtre constitué dans sa large moitié de sièges assez larges pour accueillir l’imposante stature des Astartes. En face, dans l’autre moitié se trouvait une haute tribune de plusieurs étages avec moult pupitres. Les mêmes colonnes et les mêmes drapés qu’à l’entrée se disputaient les murs qui enchâssaient cette salle dans le grand croiseur Impérial, tel un joyau brut.
Un grand nombre d’officiers et d’administrateurs de l’Imperium étaient déjà assemblés dans l’Hémicycle. La crème de la hiérarchie était assise dans la tribune et posait son regard sur l’espace qui les séparait de l’assemblée. Une silhouette mince et voutée, attendait là, appuyant sa carcasse contre des barreaux surmontés de velours. En haut de la tribune se dressait un Commandant Space Marine, fier et droit. Son armure était richement décorée de symboles impériaux et d’insignes originaires des mondes d’Ultramar.
Il prit la parole lorsque tout le monde fut assis.
— C’est la deuxième fois que vous apparaissez devant nous, John Grammaticus. Qu’est-ce qui vous fait croire que cette fois ci sera davantage auréolée de succès ?
— Commandant Bonaparte, la Cabale, dont je suis le représentant, vous avait jadis avertis. Nous vous avions mis en garde contre Horus et l’influence des Dieux Noirs. Vous ne nous avez alors pas cru et plusieurs années après, ce qui était mensonge à vos yeux est devenu vérité et la guerre civile a éclaté. A présent, elle déchire la galaxie. Je reviens donc vers vous en ces temps troublés afin de vous faire une nouvelle proposition.
Des chuchotements se répandirent dans l’assemblée comme un frisson. Le commandant Bonaparte reprit la parole.
— Et quelle est votre proposition cette fois ci ? Embrasser à nouveau la cause du Chaos pour précipiter la fin de l’Humanité car il n’est nulle voie de guérison pour elle ? Affamer les Dieux noirs en les privant de leurs mets favoris, les humains ? Dites-moi John…
— L’Humanité est condamnée, vous le savez très bien. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle ne soit dévorée par les démons du Warp, vous le savez aussi. Vous le savez car vous êtes un homme intelligent et pragmatique et parce que tout ce que nous vous avions annoncé s’est réalisé. L’Humanité a commencé sa longue dance macabre et celle-ci ne se terminera qu’à sa mort. Mais la galaxie, elle, peut encore être sauvée.
— Comment sauver une galaxie dans laquelle les enfants de l’Empereur ne trouveront pas leur place ?
— Privez le Chaos de ses moyens de subsistance, affamez-le ! Anéantissez toute forme de vie ! C’est ce que vous avez commencé en quelque sorte avec votre grande Croisade, il suffit de continuer! Ou alors… Il existe une autre voie, bien plus périlleuse, tellement insensée que je n’ose vous la soumettre.
— Parlez sans crainte John.
— Rassemblez une force telle que nous n’en avons encore jamais vue. Faites la paix avec les races Xenos et proposez les de vous rejoindre pour constituer une grande armée qui saura faire plier les forces du Warp. Eldar, Mesmerien, Tau… Faites le choix de l’union et rassemblez les tous sous une seule bannière.
— Ce sont là deux moyens des plus extrêmes !! Qu’est-ce qui vous fait croire que nous avons des chances de réussir, nous qui appliquons le codex Astartes avec la plus grande rigueur. Ce que vous nous proposez nous fera mettre au ban de l’Imperium. C’est pure hérésie !
— Votre intégrité et votre loyauté ne sont plus à prouver. C’est en cela que résident vos chances de succès. C’est parce que vous appliquez à la lettre ces principes que votre parole ne pourra être mise en doute. De plus, vous avez étudié des grands maîtres tels que Sun Zu, Clausewitz ou Guilliman. Votre sens de la diplomatie et de la stratégie constituent des alliés certains dans cette entreprise.
Ce ne fut plus un frisson mais un tremblement qui se répandit dans le rang de l’assemblée. Tout ce qui venait d’être suggéré était dur à accepter. Les conversations étaient vives et passionnées. Certains défendaient l’idée de la destruction et le plus véhément était le Maréchal Marmont. D’autres faisaient le choix de la diplomatie et du rassemblement. Mais la plupart quittèrent la salle, offusqués, trop choqués pour participer à des discussions qu’ils jugeaient inutiles, teintées d’hérésie. Le commandant Bonaparte restait silencieux, le visage fermé.
Cambronne était assis à sa place et ne prenait pas part aux débats. Quel que soit le choix de son commandant, il le suivrait. Il était un soldat et son premier devoir était d’obéir aux ordres. Quelque part, cette position était confortable…mais diable, que les débats et son lot de parlotes allaient être longs…
Beaucoup d’année se sont écoulées. Beaucoup de choses ont changé. Mais il reste une constante : la guerre. Le champ de bataille est saturé d’explosions, de cris, du crachat des canons et du choc des armes. Cambronne se tient sur les hauteurs et regarde ce qui s’étend devant lui. L’ennemi s’est avancé jusqu’au pied de la colline et les deux armées se sont télescopées. Le bleu des armures loyalistes s’est mélangé au noir profond des renégats. Les crânes gravés sur les épaulettes de ces derniers ne sont plus le sujet de plaisanterie sur la piraterie.
Tout à coup une silhouette surgit du ciel et atterrit avec lourdeur à ses côtés. Cambronne dégaine sa lame tronçonneuse et dans le même geste actionne ses lames. Il part le coup de hache qui fuse vers sa tête et le repousse d’un geste large. Il tente une botte vers le cou de l’adversaire mais celui-ci est trop vif et expérimenté pour se laisser surprendre. L’esquive est si parfaite que l’assaillant peut se repositionner et pointer son pistolet bolter vers le capitaine. Ce geste est copié quasiment à l’identique et les deux guerriers se retrouvent face à face, les canons levés l’un vers l’autre.
— Capitaine ! Ca faisait longtemps que nous ne nous étions retrouvés sur un champ de bataille.
— Pas depuis votre trahison et le meurtre du commandant Bonaparte !
— Trahison ? Tu n’as toujours pas compris mon geste ? Nous avions un choix et j’ai fait le mien. En quoi est-il meilleur ou pire que celui du chapitre ?
— Le notre ne s’est pas illustré dans la mort et la traîtrise.
— Lorsque l’administration de Terra aura vent de votre « mission diplomatique », nous verrons qui sera considéré comme des traîtres.
— Peu importe ! Notre mission est noble et porteuse d’espoir. Lorsque nous aurons assemblée la Grande Armée et commencé à repousser les forces du Chaos, la vérité éclatera et les erreurs seront pardonnées… mais pas vos crimes !
— Lorsque la mission des Hussards de la mort s’achèvera, il n’y aura plus personne pour témoigner de la vérité. Mais la galaxie sera sauvée, c’est ce qui compte. Et si pour cela je dois…
Des petits disques argentés se fixent soudain dans le plastron du hussard, le repoussant en arrière. Une ombre jaillit et s’interpose entre les deux Marines. Marmont lève sa hache tronçonneuse pour parer le coup suivant mais la rapidité du nouveau venu le déstabilise et il tombe en arrière, roulant le long du flanc de la colline.
— Encore en difficulté Mon Keigh ?
— Merde! Cette manie que vous avez, vous autres maudits Xenos de toujours vous immiscer dans les affaires d’autrui !
Cambronne fixe l’exarque Scorpion qui vient d’arriver puis éclate de rire.
— Allons mon ami, allons massacrer quelques hérétiques !
— Je vous en prie capitaine, ouvrez-moi le chemin…
- Publié le Samedi 2 février 2013