Critique de Wolf King par Priad
Publié le Vendredi 10 juin 2016 | 13 révisions avant publication | 2 corrections après publicationÉtant conscient de sa propre force, Russ avait pendant longtemps remis en question la possibilité de pouvoir blesser un Primarque, et également de le tuer. Depuis qu'il en avait été capable, il n'en avait plus aucun doute. En fermant les yeux il pouvait encore voir le regard d'horreur de Magnus, un instant avant que la tempête Warp déchire son corps en fragments.
Dans ses rêves pouvaient encore résonner les dernières paroles de son frère, alors que les pyramides de verre explosaient en morceaux.
« Tu es une épée entre de mauvaises mains, mon frère. Tu as coupé le cou d'un innocent et cela te poursuivra pour le reste des temps.»
Russ avait refusé de donner du sens à ces mots. Chaque homme, légionnaire ou -demi-Dieu qu'il avait achevé jusque-là avait prié pour sa vie avant que la mort ne frappe, tel un nouveau-né s'accrochant à sa tétine.
Dans tous les cas, il détestait réellement Magnus. Il le détestait pour ce qu'il était, mais aussi pour ce qu'il prétendait être.
Et pourtant... et pourtant.
Les novellas ont toujours eu leur public et même si l’on peut leur reprocher parfois un certain manque de pertinence quant à leurs implications dans la série de l’Hérésie d’Horus comme Ravenlord ou Tallarn : Ironclad, elles ont bien souvent approfondi un pan de l’histoire de nos Primarques. Aurelian apportait des éléments permettant d’avoir une meilleure compréhension du personnage de Lorgar, alors que Scorched Earth nous teasait subtilement la disparition de Vulkan alors qu’un Salamander survivant d’Isstvan partait sa recherche. Dans cette dernière, un vrai sentiment de deuil mais aussi d’incertitudes permettait d’accentuer une atmosphère déjà lourde avec les enjeux que l’auteur essayait de nous raconter.
Sobrement intitulée Wolf King, la novella de Chris Wraight se déroule dans l’espace suite aux évènements de Prospero. Proche de Scorched Earth dans ce qu’elle aborde, elle approfondit néanmoins la mentalité de la légion dans une toute nouvelle direction, prenant à contre-pied nos attentes de lecteur dès l’ouverture du récit :
Connue en tant que Space Wolves par ceux qui les craignaient, mais aussi comme les Chiens de l’Empereur par ceux ayant tourné le dos à l’Imperium loyaliste, la VIème légion était en réalité loin de maîtriser la navigation dans le vide intersidéral.
La première phrase annonce le ton. Un ton différent qui accompagnera l’intégralité de la novella. Les Space Wolves ne sont plus que l’ombre d’eux-même après la mise à sac de Prospero, et c’est en ces temps de calme infinis perdus dans l’espace que la légion va prendre conscience du rôle qu’elle a joué jusqu’à présent dans le conflit les opposants aux forces d’Horus. Il faudra néanmoins compter sur l’Alpha Légion pour venir encore bouleverser une situation déjà très désagréable pour nos héros. S’il existe une légion à laquelle nous n’aurions pas pu imputer cette étude de soi, ce sont bien les Space Wolves. Véritables marionnettes au service de l’Imperium, ils ne sont que des pions sur l’échiquier de l’Empereur. Envoyés faire la sale besogne sans poser de questions, ils ont comme atout de déferler une véritable tempête lorsqu’ils s’abattent en meute sur leurs ennemis. Un constat que les Thousand Sons ont fait à leur insu.
Nous lecteurs avons toujours reconnu les Space Wolves pour ce qu’ils étaient, des bêtes facilement manipulables dès lors qu’on appose le sceau de l’Empereur sur leurs ordres de mission. Mais qu’adviendrait-il si ces derniers en venaient à la même conclusion ? Feraient-ils machine arrière ? Chris Wraight a décidé d’aborder ce sujet, un thème dont je ne m’attendais pas au vu du risque de cafouiller, mais aussi de dénaturer la vraie nature des Space Wolves. Certains auront probablement du mal à y croire et à apprécier où l’auteur a voulu en venir. Néanmoins pour ma part, les doutes de Leman Russ m’ont semblé légitimes, l’auteur posant les bonnes questions et s’appuyant sur les bons mécanismes pour nous convaincre. Après tous les Space Wolves sont une grande meute, une entité à elle toute seule. Il est normal qu’en ces temps de crise, elle finisse par remettre en doute ses acquis et ses croyances.
La totalité de la novella va donc se construire autour du traumatisme de Prospero, le déclencheur qui fut aussi l’une des dernières apparitions des Space Wolves durant le conflit, car rappelons-le, les Space Wolves n’atteindront jamais Terra. Le récit n’abordera pas cette problématique même s’il donne quelques indices sur une possible suite. Pourtant on ne pourra que trop applaudir l’auteur pour sa prise de risque et son désir de nous décrire la 6ème légion en proie aux doutes et à des questionnements de choix.
Au-delà de cet épicentre d’émotion et de ressenti, l’histoire se veut simple. Perdus dans un coin reculé de l’espace, les Space Wolves vont devoir se battre contre l’Alpha Légion afin d’espérer survivre et sortir de ce système. Quelques scènes d’abordage viendront saupoudrer une novella déjà fort rythmée par ses dialogues lourds de sens. L’action sera donc présente sans cannibaliser le ton du livre. Russ se posera des questions que n’importe qui dans sa position est en droit de se poser. De quel côté penche la loyauté du Khan ? Pourquoi ne lui vient-il pas en aide ? A qui peut-on réellement faire confiance ? Et c’est avec des incertitudes plein la tête qu’il devra prendre de conscientes décisions. Certaines stratégies militaires pour se défendre face à l’Alpha Légion seront même parfois expliquées par l’auteur. The Wolf King est l’ouvrage qui vous fera plonger dans la psyché du Primarque Leman Russ, comprendre chacune de ses décisions à n’importe quelle étape du livre est un mécanisme efficace pour comprendre la pleine mesure des difficultés qu’il rencontre.
Bjorn aura un rôle des plus importants puisqu’il assistera le Primarque en combat, comme dans le fil de ses pensées. Wolf King sera un peu à Bjorn ce que Félon est à Kharn. Une mise en bouche qui ne manquera pas de satisfaire sur plusieurs fronts. Chris Wraight avait déjà su mettre en valeur le personnage de Bjorn à maintes reprises, après tout il est en terrain connu. Pourtant on découvrira tout de même la 6ème légion sous un jour nouveau, un jour sombre et au ciel bas : être la lame défenseur de l’Imperium a peut-être laissé des séquelles. Loin de traiter le sujet en surface, Chris va décrire et interpréter les signes de doutes des Space Wolves. Tantôt en nous contant comment Leman Russ s’interroge sur le combat l’ayant opposé à Magnus, répétant les dernières paroles de son frère avant sa disparition. Tantôt en s’isolant de sa propre légion. Les références pleuvront : Asheim, Fenris, le Croc, l’auteur connaît son sujet et utilise ses clins d’œil avec parcimonie, mais toujours de manière judicieuse afin de mettre en exergue la mentalité de notre Primarque.
En plus de ne pas être un sujet facile à aborder, l’auteur décrira un sentiment d’abandon, les loups étant seuls, sans toutes les clefs du puzzle pour recoller les morceaux. Ce sentiment d’abandon sera double car nos guerriers loups auront aussi l’impression de ne plus comprendre les décisions de leur Primarque. Russ semblera plus seul que jamais, lui qui n’a toujours fait qu’un avec sa meute.
Une scène illustrera d’ailleurs parfaitement cette sensation d’isolement et de perdition. Alors que Leman Russ avait décidé de rester seul dans ses appartements, il finit par inviter Bjorn :
Russ l’interrogea: «Sais-tu pourquoi je t’ai fais demandé ?».
Bjorn lui répondit en ces mots: «Parce que nous perdons. Parce que tu es à court de réponse.
Ce malaise illustre avec brio l’ambiance se dégageant de la novella. Russ affirmera lui-même se sentir aveugle dans ce conflit surtout depuis la blessure psychologique de Prospero. En réalité Russ ne pleurera pas Magnus, mais voudra simplement comprendre et trouver des réponses. L’une d’entre-elles étant que sa légion a évolué. C’est bien Bjorn qui tentera d’éclairer notre Primarque, qui ne fut finalement que l’instrument de l’Empereur, mais surtout d’Horus. C’est en apprenant à faire le deuil de cet échec que la Légion pourra grandir et se reconstruire.
Malgré une introspection poussée, l’auteur n’oubliera pas non plus les rebondissements en fin de récit (voir la suite du paragraphe qui s’apprête à vous spoiler la fin de la novella). C’est lorsque la situation sera désespérée que les Space Wolves trouveront leur salut… avec le sauvetage d’une légion qui fut la grande oubliée de la saga, les Dark Angels. Cette union inattendue dans ce système reculé pourra faire hausser les sourcils, l’auteur réussira à lui donner du sens, justifiant leur présence au travers d’un ordre venant de Luther lui-même : entrainer un maximum de recrues pour renforcer la légion, cachée aux yeux de tous. Le rapprochement avec les clones de Star Wars sur Camino sera facile, le tome 38 de Gav Thorpe, Angels of Caliban, pourra peut-être nous en dire plus.
Finalement Wolf King surprend par bien des aspects, reprenant ce qui faisait la réussite de la série comme ses portraits de Primarques, ses légions en pleine appréhension, et ses scènes de bataille au milieu du vide spatial.
Les plus
- Leman Russ effectue une analyse de soi pertinente et sans équivoc.
- Le contexte de l'Alpha Légion est léger mais s'emboite parfaitement avec le vrai coeur de l'histoire.
- Un Bjorn solennel comme jamais.
- Des dialogues qui posent les bonnes questions.
- Un dilemme ajoutant un relief monstre à la 6ème légion.
- Un Primarque arrogant faisant finalement le deuil de l'échec. Nom d'un loup !
Les moins
- Le questionnement de Leman Russ ferait presque oublier tout le reste, comme les séquences action incluant les barges de bataille.
- La pillule Dark Angels ne sera pas la plus facile à passer.
Wolf King est à la fois audacieux, intelligent et pose un véritable dilemme au lecteur, surtout lorsque la légion des Space Wolves ne vous laisse pas indifférent. Une novella qui vous invitera à repenser la 6ème, ses croyances comme ses obligations.