Critique de Dropsite Massacre par Maestitia
Publié le Dimanche 30 novembre 2025Les silhouettes qu’il observe ne sont que des contours de chaleur et d’émissions d’armure dans son viseur. Elles se trouvent à trois kilomètres. Des nappes de fumée, de poussière et des éclairs de flammes saturent l’espace entre lui et elles. Sa vision s’est ajustée pour compenser et percer ce voile. Le vacarme du massacre en cours fait vibrer l’air même à cette distance. Le groupe qu’il surveille ne comprend pas encore ce qui se passe. Ce sont des Salamanders, une cohorte de commandement et les restes d’unités de ligne. Cela doit être étrange, pense le tireur, de rencontrer l’incertitude quand toute votre existence n’a été que certitude – la certitude de votre camp, la certitude de qui était l’ennemi et qui était l’allié, de la justesse de votre cause, de ce qui se passe et de comment réagir. Autant de fondations mensongères sur lesquelles se construire.
Nous sommes les guerriers d’une Grande Croisade.
Nous sommes la flamme qui éclaire les ténèbres et purifie la galaxie.
Nous sommes la force qui façonne l’avenir.Une suite de mensonges que l’Alpha Legion n’a jamais eu la faiblesse de se raconter. S’il existe un âge pour les Légions après ce qui va arriver, verront-elles la vérité, ou ce moment de révélation sanglante ne sera-t-il que le début de nouveaux mensonges ?
Il regarde les Salamanders avancer vers le centre du renfoncement. Avancer. Toujours avancer. Toujours être décisif. Ne jamais hésiter. Voilà la marque des Astartes. Sauf que maintenant, ils avancent simplement parce qu’ils ne savent pas quoi faire d’autre.
D’autres formes apparaissent, se rapprochant des Salamanders avec une arrogance nonchalante, armes et lames tenues basses. La VIIIe Légion. Sans doute en train de clamer : « Nous sommes venus pour vous », parodiant leur propre cri de guerre en le faisant sonner comme si des alliés venaient conduire leurs victimes en sécurité. Les Salamanders s’arrêtent. Méfiants, mais sans ouvrir le feu. Ils ne comprennent pas ce qui se passe. Ils auront vu la seconde vague se poser, auront senti le sol et l’air trembler lorsque les premiers obus de la trahison sont tombés. Mais c’était il y a quelques instants. Ils ignorent ce que signifient ces sons et ces secousses.
L’Histoire retiendra cette bataille comme celle des traîtres contre les loyalistes, une division nette. Cette division n’existe pas encore pour ces fils de la XVIIIe. Ils réagissent à quelque chose d’intangible, un instinct cérébral primaire qui les fait hésiter tandis que les Night Lords les appellent. Cela ne suffira pas à les sauver. Il y a des ennemis derrière eux qu’ils n’ont pas vus. Et il y a le tireur, viseur ajusté, balle chambrée. Son doigt repose sur la détente.
Dropsite Massacre arrive dans un contexte où beaucoup se demandent si l’Hérésie d’Horus a encore quelque chose à offrir sur l’un de ses épisodes déjà commentés.
Cinquante-quatre tomes avant même le Siège de Terra, des rééditions, des omnibus pour nouveaux lecteurs : on pourrait croire que tout a déjà été dit. Pourtant, John French reprend cet évènement archiconnu avec une lucidité remarquable : il ne cherche pas à réinventer l’histoire, mais à la rendre à nouveau vivante, lisible, et surtout implacable. Dès les premières pages, l’auteur montre qu’il a compris l’enjeu : raconter un désastre annoncé tout en le rendant irrésistible. Il le fait en multipliant les angles, en variant les perspectives, en donnant du relief même aux détails insignifiants ; tout cela construit une tension continue, une impression de fatalité qui se resserre chapitre après chapitre.
Le roman repositionne d’abord Isstvan III comme le premier acte réel de la trahison. Le bombardement viral devient un test grandeur nature : frapper l’Empereur, mais aussi éliminer l’opposition interne. Une fois cette purge accomplie, Isstvan V se dresse comme le piège parfait. L’Imperium, persuadé de frapper au cœur de la rébellion, déploie huit Légions sans savoir que cinq d’entre elles sont déjà tombées du mauvais côté. Les Iron Hands, Raven Guard et Salamanders avancent donc vers une condamnation certaine, et French exploite pleinement cette ironie tragique.
Lire Dropsite Massacre, c’est comme lire un récit sur la Bibliothèque d’Alexandrie : tout lecteur connaît déjà la fin, mais ce qui importe est la manière dont l’incendie se produit, et surtout, comment chaque acteur perçoit la catastrophe au moment où elle se dévoile.
La force du récit tient dans la façon dont l’auteur rend cette progression lisible et presque organique. Il ne s’attarde pas dans l’introspection pesante, il ne perd jamais le lecteur dans des dédales psychologiques inutiles, mais il maîtrise parfaitement l’équilibre entre réflexion et action. Ses chapitres courts, nerveux, donnent l’impression d’une caméra qui virevolte entre les fronts, les états-majors, les escouades et les destins individuels. Chaque changement de perspective est sec, précis, et toujours justifié. L’immense galerie de personnages, humains, Astartes, Primarques, agents infiltrés, équipages de vaisseaux, ne devient jamais lourds: au contraire, c’est l’un des leviers qui donnent au roman son ampleur et sa dynamique.
Certaines scènes se détachent par leur qualité presque sculpturale : la dualité Horus/Angron contre la triade Corax/Vulkan/Ferrus Manus, deux conversations qui se répondent sans jamais se rencontrer, deux visions du devoir et de la fatalité qui avancent inexorablement vers le choc final. On sent chez French une volonté de mettre en lumière le poids du destin sur des individus qui, chacun à leur manière, essaient encore de justifier leurs actes avant de se résigner. La mécanique tragique se met alors en place, froide et inévitable.
Parallèlement, French excelle dans ces petites touches qui donnent de la texture : les Night Lords décrits comme les pilotes les moins disciplinés, l’abordage d’un vaisseau-hôpital qui vire au cauchemar, les expériences de Fabius Bile et la naissance des Kakophonii, les manipulations tortueuses de l’Alpha Legion, la lutte d’un Princeps novice avec la conscience de son Titan… Tous ces éléments contribuent à une impression de densité sans jamais casser le rythme. Le livre avance comme une horloge animée, un enchaînement de moments saillants qui préparent un point de rupture.
Et ce point de rupture, c’est évidemment le Massacre proprement dit. Le quatrième acte n’est pas simplement spectaculaire : il avale tout ce qui précède. On comprend d’un coup que le roman entier n’était pas un tressage, mais une mèche prête à s’embraser. Quand les premiers tirs retentissent, quand les communications s’effondrent, quand les commandants loyalistes réalisent qu’ils sont encerclés par ceux qu’ils croyaient leurs alliés, le texte devient impossible à lâcher. On suit la confusion, l’incompréhension, les décisions prises à l’aveugle, les actes de courage dérisoire. L’exemple le plus fort reste sans doute celui du vaisseau furtif Raven Guard qui comprend que son rôle n’est pas de sauver qui que ce soit, mais simplement d’observer et de survivre pour transmettre la vérité.
Au final, toute la question « Avait-on besoin d’un nouveau récit sur Isstvan V ? » trouve sa propre réponse. Oui, parce que celui-ci remet en scène l’inévitable avec une maîtrise qui justifie pleinement son existence. French signe un texte à la fois accessible aux nouveaux lecteurs et gratifiant pour les vétérans, un roman qui ne s’excuse pas d’aborder un sujet répété, mais qui justifie chaque page par sa précision, son sens du rythme et son regard.
On regrettera cependant un manque de développement concernant les Iron Hands qui auraient pu pour une fois profiter du roman pour briller. Dommage.
Les plus
- Rythme parfaitement maîtrisé, chapitres courts et efficaces.
- Multiplication des points de vue sans confusion.
- Excellente mise en tension jusqu’au massacre.
- Moments très visuels, presque cinématographiques.
Les moins
- Peu de temps pour s’attacher profondément aux personnages.
- Les Iron Hands sous-exploités, encore.
Un récit que l’on croyait ressassé retrouve ici une puissance inattendue. French refuse la redite sèche et transforme un épisode connu en un drame vivant, tendu, intelligemment construit. Dropsite Massacre est maîtrisé par le tempo, la multiplicité des regards et l’inéluctabilité de la tragédie. Une réussite nette et précise.
