Critique de Lorgar : Porteur de la Parole par Maestitia
Publié le Mardi 28 octobre 2025Lorgar leva les poings devant son visage, les coudes en contact, exposant ses flancs et ses épaules robustes, acceptant silencieusement la punition à venir.
Axata assena le premier coup, sur la cuisse, et dès lors, ce fut comme s’il avait rompu un sort : les autres se joignirent à lui et frappèrent Lorgar en tenant leurs armes à deux mains. Ils s’acharnèrent sur ses épaules et ses côtes, jusqu’au moment où un coup à l’arrière du genou le fit tomber en avant. Puis ils se déchaînèrent sur son dos et ses jambes, pilonnant sa colonne vertébrale et ses membres.
Kor Phaeron ne donna pas l’ordre d’arrêter, mais les hommes commencèrent à fatiguer, leurs coups manquant de vigueur. Ce fut Axata qui prit la décision. Il recula et lâcha sa masse, les doigts douloureux. Les autres se retirèrent, soulagés de voir cette violence prendre fin. Chaque once de sa peau exposée était noircie d’hématomes ; çà et là, un filet de sang coulait de sa chair lacérée.
Kor Phaeron s’approcha et s’agenouilla auprès de lui pour écouter. Voyant les lèvres du garçon bouger, Nairo dressa l’oreille.
— « … et au sixième été des Années de Jeûne, Sennata Tal fut jeté dans la cage du serpent sous les railleries et les insultes de ses accusateurs païens… »
C’était un extrait des Révélations des Prophètes, la pierre angulaire de la foi du Covenant. Kor Phaeron contempla les lourdes larmes de Lorgar s’écraser sur le pont, puis se leva. Il adressa un hochement de tête à Nairo, qui se hâta de transmettre le message aux autres.
À la tête d’un groupe d’esclaves, il aida l’enfant à se redresser. Prenant appui sur eux, Lorgar tituba jusqu’à l’écoutille ouverte, tête basse, dos courbé. Il s’arrêta en haut des marches et tourna la tête vers Kor Phaeron, un œil au beurre noir là où un coup avait raté sa cible. Il hocha la tête, comme s’il le remerciait de ce passage à tabac. Que Lorgar s’imagine mériter un châtiment aussi ignoble écœurait Nairo ; il se réconforta en songeant aux capacités de récupération du jeune homme : comme avec le fouet, les masses ne laisseraient pas de blessures durables sur son corps. Tandis qu’il en remerciait les Puissances, une vive douleur à travers son dos lui rappela les coups qu’Axata lui avait assenés la veille.
Une certaine dignité émanait du garçon, et Kor Phaeron tourna le dos au disciple, un peu trop rapidement pour que sa réaction tienne uniquement du mépris, songea Nairo. Le prêcheur ramassa la robe du garçon et la jeta à Nairo sans accorder un regard à Lorgar.
— Telles seront les punitions de Lorgar, à partir de maintenant, annonça-t-il à la ronde. Il appartient aux Puissances de pardonner les fautes, pas à moi. Les péchés de l’âme seront purgés dans la chair.
Second roman de la série Primarques à relater la jeunesse d’un fils de l’Empereur avant sa découverte par celui-ci. À l’instar de Perturabo, Le Porteur de la Parole se déroule presque entièrement avant l’ère des Space Marines (90 % du récit), bien avant toute croisade galactique.
J’attendais ce roman avec impatience, car depuis que Lorgar Aurelian et ses Word Bearers ont été interprétés par le génialissime Aaron Dembsky-Bowden, je n’avais pas eu l’occasion de profiter d’une plongée aussi profonde dans cette légion si incomprise du public.
Je ne vais pas vous cacher que lorsque j’appris que c’était Gav Thorpe aux commandes, j’ai eu un certain recul. Mais, étant donné mon fanatisme pour l’Hérésie d’Horus et pour la XVIIe Légion en particulier, je me suis tout de même lancé dans sa lecture.
Pour la faire courte, l’auteur ne nous raconte pas une simple histoire dont le titre serait : « comment Lorgar est devenu ce qu’il deviendra ». Non. À la place d’une justification attendue, Gav Thorpe nous livre la tragédie d’un homme : celle d’un être en quête de sens, broyé par la foi et la souffrance, prisonnier d’un pathos omniprésent.
Dans ce roman, ne vous attendez pas à des batailles épiques ou à des révélations fracassantes. Vous trouverez plutôt un texte à la lecture fluide, mais à la teneur lourde et introspective. Parfois lent, souvent pesant, mais toujours captivant dans son essence.
Captivant pour qui ? Pour les lecteurs qui auront compris que l’objectif de cette saga n’est pas de mettre les fils de l’Empereur en spectacle, mais d’explorer les racines de leur psyché et de leur apprentissage, à une époque où ils n’étaient encore que des hommes sur leur monde adoptif.
Ce n’est pas une histoire, mais une genèse. Une odyssée à travers les déserts de Colchis, au milieu du Covenant et des sectes qui s’y affrontent, comme autant de veines parcourant la planète.
Les dieux y sont vénérés sous des formes multiples, mais aucune religion ne fait l’unanimité jusqu’à ce qu’un prophète éloquent annonce la venue d’un dieu unique. Cela vous semble familier ?
Évidemment, les inspirations sont nombreuses. Au-delà des aspects religieux, les thèmes du désert, des vers géants, de la durée des jours et du fanatisme des cultistes évoquent clairement l’influence de Dune.
Cependant, là où le récit devient un véritable ovni, c’est dans le pathos et la misère dans lesquels Lorgar baigne tout au long du roman.
Il est très tôt pris sous l’aile de Kor Phaeron, un prêcheur excommunié errant dans le désert avec ses fidèles (et ses esclaves) pour avoir défié le culte dominant.
L’ambition fanatique de cet apôtre manipulateur devient le fil rouge du récit. Ce personnage est profondément détestable, non seulement par sa cruauté, mais aussi parce que Lorgar se soumet sans résistance. Il se laisse battre, humilier, dominer, malgré son évidente supériorité en éloquence, en érudition, en force, en charisme, en intuition et en visions.
Et c’est là que l’on touche un thème qui me passionne particulièrement : Lorgar n’est pas un guerrier. Il est le seul fils de l’Empereur à ne pas être attiré par la violence : bien au contraire.
Là où Vulkan est décrit comme un humaniste certes, mais aussi un combattant redoutable, et où Magnus, obsédé par la connaissance, n’hésite pas à déchaîner des sorts dévastateurs, Lorgar refuse la violence, la pleure même.
Quand il échoue à convaincre par la parole et qu’il n’a plus que la force pour option, il s’effondre et remet en cause tout son prêche. C’est un prêtre, un être de foi pure, ni plus ni moins et c’est ce qui me fascine en lui depuis Le Premier Hérétique.
Plusieurs scènes soulignent sa maladresse dans le combat rapproché, mais aussi sa grandeur lorsqu’il use du verbe, de la raison et de la foi plutôt que des armes.
Je sais que Lorgar est l’un des Primarques les plus détestés, tout comme Magnus le Rouge ou Horus Lupercal, en raison de leur trahison. Mais ce rejet trahit une incompréhension de leurs souffrances respectives.
Chaque fils de l’Empereur a subi des traumatismes considérables durant son enfance sur son monde natal, certains plus que d’autres. Aurelian fait partie de ceux dont les blessures justifient en partie la chute.
Je pourrais longuement développer les profils psychologiques des Primarques, mais ce n’est pas l’objet de cette critique.
Ce qui m’agace, ce sont ces lecteurs ignorants affirmant que Thorpe cherche à justifier la trahison de Lorgar par son enfance misérable et qui prétendent « qu’il n’avait qu’à se rebeller contre Kor Phaeron ».
C’est faux.
La violence ne fonctionne pas comme ça. Rares sont ceux et celles qui peuvent comprendre ce que c’est que d’être brisé par la personne que l’on aime, en qui l’on a confiance, et que l’on cherche à impressionner.
Les gens aiment dire : « Si ça m’arrivait, je me défendrais. » Non. Vous seriez figé, tétanisé, perdu. C’est la réaction la plus commune des victimes de maltraitance infantile.
Je dirai pour finir que Le Porteur de la Parole est un récit touchant, pas autant que celui de Perturabo, mais tout aussi tragique.
Une plongée réussie dans la psyché d’un Primarque à la foi dévorante et à l’humanité poignante.
Les plus
- Exploration psychologique fine et cohérente du jeune Lorgar.
- Atmosphère mystique et désespérée parfaitement rendue.
- Colchis est crédible, à la fois rude, religieuse et symbolique.
- Thématique du fanatisme, de la foi et de la soumission bien exploitée.
- L’absence d’action ne nuit pas à la tension dramatique.
Les moins
- Rythme parfois lent, narration inégale.
- Pathos parfois excessif, alourdissant certains passages.
- Style de Gav Thorpe correct mais sans éclat.
- Quelques répétitions dans la dynamique maître/esclave.
- Absence d'Erebus.
Le Porteur de la Parole n’est pas un roman d’action, ni une hagiographie du XVIIe Primarque. C’est un récit douloureux, introspectif, presque mystique, qui montre comment la foi peut autant sauver qu’asservir.
Gav Thorpe livre ici un Lorgar profondément humain, fragile, mais animé d’une ferveur qui le dépasse.
Ce n’est pas un chef-d’œuvre narratif, mais c’est une œuvre essentielle pour comprendre pourquoi le Héraut de la Parole sacrifiera un jour l’univers sur l’autel de sa foi.
